Éclipse WYSIATIQUE

Nous vivons dans un univers où les paradoxes font légions. Celui qui me fascine particulièrement depuis plusieurs années implique la grande quantité d’informations disponibles et la facilité qu’on a de tout partager en un instant. Cette masse importante de données complexifie grandement nos processus naturels de validation, mais ironiquement, nous n’avons jamais eu autant d’outils d’accessibles pour publier du contenu publiquement. Il en devient d’autant plus préoccupant quand l’on sait que devant cette impuissance à valider des éléments, notre méthode de pensée tend naturellement à emprunter des raccourcis biaisés pour considérer que quelque chose est vrai.

Portée et crédibilité de la source

Par exemple, un raccourci fréquent est l’importance que l’on accorde à la portée d’une information. Plus il y a de gens qui diffusent un élément, plus nous sommes disposés à traiter celui-ci comme étant un fait vérifié. Notre premier niveau de logique (basé sur le système 1) prenant le raccourci de dire « Si ce n’était pas vrai, quelqu’un parmi tout ce monde l’aurait signalé ».

Cette illusion de logique est répertoriée par Kahneman dans son livre (je vous l’avais dit que j’y reviendrais à cette oeuvre) et ce biais est littéralement au centre de nos réflexions. À un tel point que pour le nommer tout au long de son ouvrage, Kahneman l’a nommé WYSIATI : What You See Is All There Is. En traduction libre : Ce que tu observes est tout ce qui compte. Le système 2 opérant la logique plus réfléchie, mais étant très paresseux se laisse convaincre par le système 1 et son WYSIATI. Au plus profond de nous, ce qui importe vraiment c’est de pouvoir tirer des conclusions en des temps raisonnables. Autrement nos journées ne finiraient plus.

WYSIATI est une machine à jugements rapides alors nécessaire, mais il est le principal agent dévastateur au sein du concept moderne de facilité de diffusion de l’information.

Plus grave encore, si l’on jumelle à la PORTÉ d’une information la CRÉDIBILITÉ DE LA SOURCE qui la diffuse, WYSIATI s’emballe alors comme un enfant de 4 ans sur un « rush » de sucre et saute aux conclusions sans attendre.

Éclipse WYSIATIQUE

Dans l’actualité, nous avons souvent de jolis événements qui démontrent les résultats très sérieux du WYSIATI médiatique.

Pour ne choisir qu’un seul événement WYSIATIQUE à décrire, je choisis le fameux coup pendable de Jimmy Kimmel et son équipe. Cette anecdote rallie les deux variables biaisées de validation de l’information : la portée et la crédibilité des sources de diffusion.

Lors des Jeux olympiques de Sotchi, vous avez probablement tous vu ces photos et vidéos de journalistes coincés dans des chambres en mauvais état ou ridiculement sales. Le spin dans les médias était assez intense à ce sujet et sur tous les bulletins de nouvelles. Puis, un jour, il y a cette vidéo publiée par une athlète américaine qui apparaît sur les réseaux sociaux. Montrant un loup déambuler dans le couloir des résidences olympiques des derniers jeux à Sotchi, l’athlète l’observe silencieusement à travers sa porte de chambre. Durant l’espèce d’euphorie mondiale entourant les différents journalistes montrant le piètre état de leur chambre d’hôtel, cette vidéo venait mettre la cerise sur le Sunday de toutes ces histoires. Après quelques jours à tourner en boucle partout, il est alors annoncé qu’il s’agissait d’une vidéo entièrement construite par l’équipe de l’émission de Jimmy Kimmel. Le choix de la faire publier par l’athlète Kate Hansen n’a été que le vecteur de crédibilité qui a servi à enflammer le WYSIATI médiatique.

Si vous n’avez pas vu le résumé de ce tour magistral, voyez ce vidéo à la fin du billet. Et surtout, voyez la folie médiatique entourant l’événement. On comprend qu’aucun réseau n’a tenté de valider l’affirmation en dehors de l’athlète qui a publié cette fausse vidéo. Sa crédibilité n’a jamais été mise en jeu.

Dans le doute…

Toutes sortes de conneries sont relayées pour plein de raisons : par peur irrationnelle (« le lait ce poison », « les vaccins qui rendent autistes »), par désir d’avoir l’exclusivité de la nouvelle (le cas du loup dans les couloirs, justement) ou parfois par convictions et croyances sincères mais absurdes (l’homéopathie, le créationisme). Le doute ou l’incertitude sont souvent les meilleures positions à prendre. C’est épuisant, mais nécessaire pour appliquer notre devoir d’autocensure.

Finalement, la seule certitude, c’est que chacun de nous est faillible à tout moment.


Dissection de l’intuition

Culturellement, on aime glorifier et romantiser l’idée de l’intuition. Elle a quelque chose de magique cette petite bête de l’esprit. On la colle dans toutes les histoires de succès. Malcolm Gladwell en parle et donne une pelletée d’exemples dans son livre BLINK et plus près de nous, Mme Henkel en parle depuis longtemps et vient tout juste de sortir son livre « Quand l’intuition trace la route». Dans toute cette romance et ces histoires fabuleuses et inspirantes, la carte du divertissement et de l’anecdote prennent souvent le dessus et l’on ne s’attarde jamais véritablement sur ce qu’est l’intuition. Un peu comme si cela découlait du surnaturel voire de l’ésotérisme, on n’arrive pas à l’expliquer. C’est bien joli ce mystère, mais je suis trop curieux pour en rester là. Exit les histoires et les contes héroïques, voyons un peu plus concrètement ce qu’est l’intuition.

Dans le livre que je lis actuellement, Think Fast and Slow écrit par le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman (je vais en parler souvent dans les prochaines semaines tellement il est fascinant), le système de pensée est développé et analysé sous toutes ses coutures. Pour vous résumer très rapidement le principe de base, M. Kahneman se risque à vulgariser le résultat de ses recherches comme suit : notre pensée se divise en deux systèmes qu’il a respectivement nommé Système 1 & Système 2.

Système 1 est la pensée spontanée qui demande peu d’effort. Elle est construite sur l’expérience et les choses que nous faisons à répétitions ou nous sont innées. Ce système peut à l’occasion résoudre des problèmes de mathématiques ou de logiques simples à condition de les avoir préalablement intégrés. Cependant à ce niveau ce n’est pas autant un calcul qu’une réponse réflexe. Je vous montre un exemple plus loin.

Système 2 est la pensée consciente et est celle qui s’éveille pour résoudre des problèmes, apprendre une notion, faire un calcul mathématique complexe, débattre d’un sujet. En gros si ça demande un effort de réflexion, c’est le Système 2 qui entre en jeu.

Je vous donne un exemple très rapide pour que vous testiez par vous-même ces deux systèmes:

2 + 2 = ?

La réponse vous vient tellement vite que je suis persuadé que vous avez reconnu visuellement l’équation sans réellement la lire et que la réponse vous est venue sans devoir calculer.

30 x 42 – 27 = ?

Là, vous sentez clairement votre Système 2 à l’oeuvre. Cela demande un sérieux effort à votre esprit et votre corps pour résoudre cette équation. Par contre, si vous vous répétiez 100 fois chaque jour et pendant plus d’un mois cette équation ; il se pourrait que la réponse vous vienne alors aussi facilement que pour le 2 + 2 la prochaine fois que vous tomberiez dessus. Cette notion aura alors été intégrée et on dira que cette équation bien précise ne sera plus calculée par votre Système 2 et sera reléguée à votre Système 1 qui pourra répondre spontanément, lorsqu’exposé à ce problème précis.

Maintenant l’intuition dans tout ça? Sauriez-vous dire où elle se situe ? Dans le Système 1 oui, cependant c’est un peu plus complexe que ça. Dans ce cas-ci, l’intuition est le résultat d’un échange d’informations entre le Système 1 & le Système 2. Je vous donne l’exemple du livre et vous explique après.

Trouvez la réponse le plus rapidement possible:

Un bâton et une balle de baseball coûtent ensemble 1,10$.

Le bâton coûte 1$ de plus que la balle.

Combien coûte la balle, alors?

Vous avez probablement répondu 10 cents comme la majorité des gens qui ont été testés. Et voilà exactement le bon exemple d’intuition où vous répondez ce que vous croyez, voire ressentez, être bon mais finalement vous avez tord.

explication

Ce qui s’est passé c’est que votre Système 2 est paresseux. Il demande énormément d’énergie au corps… Alors quand le problème plus haut s’est posé, le Système 2 a commencé à s’activer pour calculer lorsque soudainement le Système 1 s’est manifesté pour indiquer que, selon son expérience et ses données stockées, il possédait déjà la bonne réponse. Le Système 2 ne voyant pas l’intérêt de poursuivre le calcul décide de laisser tomber et de s’en tenir à la réponse de Système 1. Voilà comment l’intuition se construit dans notre système de pensée et voilà pourquoi celle-ci se ressent plus comme une force intérieure et un sentiment intangible qui donne l’impression qu’on connaît la réponse sans avoir analyser et sans trop savoir pourquoi.

Parfois, forte de notre expérience, l’intuition est bonne et nous livre des choix et des réponses éclairées rapidement. Ce qui s’avère être très commode dans une situation d’urgence. Cependant, je vous conseillerais de contre-vérifier vos intuitions de façon plus logique lorsque c’est possible. Comme vous l’avez vu, l’intuition peut être biaisée.